LES ABOYEUSES DE JOSSELIN

Au cours du XIXe siècle de nombreuses femmes du Morbihan furent en proie à un mal étrange qui les poussait à aboyer comme des chiens. Pour les délivrer de ce maléfice, le jour de la Pentecôte, elles étaient amenées de gré ou de force devant la Vierge de Josselin et elles en repartaient libérées. Ces femmes, qui se débattaient, mordaient, frappaient, griffaient et hurlaient, étaient appelées Les Aboyeuses de Josselin et de partout des curieux venaient assister au spectacle de leur délivrance.

La légende

Un jour, il y a bien longtemps de cela, des femmes des environs de Josselin lavaient leur linge à un douez, une sorte de mare au bord d’un chemin, quand une vieille mendiante apparut, qui se trainait avec peine et leur demanda l’aumône d’une voix suppliante. Insensibles à ses malheurs, les femmes la chassèrent en l’insultant, mais la pauvresse insista et agacées, elles lancèrent sur elle l’énorme chien qui les gardait. Le molosse fonça avec un aboiement mauvais mais soudain les haillons de la vieille femme se transformèrent en des vêtements étincelants de pierreries, les rides de son visage s’effacèrent et rayonnante de gloire et de beauté, elle leur dit : « Mauvaises femmes, je suis la Vierge Marie. Vous vous êtes montrées sans pitié pour l’infortune. Je vous condamne vous et toutes vos descendantes à aboyer comme ce chien que vous avez lancé sur moi. »

Certains disent qu’elle disparut ensuite dans un nuage, mais d’autres affirment que touchée par le désespoir des lavandières, elle leur permit d’obtenir le pardon le jour de la Pentecôte à condition de ne pas être en état de péché et d’aller en pèlerinage à l’église de Josselin. Cette faveur devait s’étendre à leur descendance après une année d’expiation.

L’Histoire

Le 4 novembre 1727, deux petites filles de Camors tombèrent en aboiement, se déchainant jour et nuit, parfois pendant plus de deux heures d’affilé. Le 25 mai 1728, les deux fillettes et un autre enfant, qui n’étaient plus capables de marcher et qui aboyaient comme des chiens, furent amenés à l’église de Josselin et après avoir bu à la fontaine miraculeuse près de la basilique « le mal extraordinaire et inconnu » qui les tourmentait disparu aussi inexplicablement qu’il était venu. Ces enfants, dont l’histoire fut retranscrite dans des documents officiels, furent les trois premiers à être affectés par le phénomène. Pendant quelques années, plus personne n’entendit parler de choses semblables puis brusquement, au XIXe siècle, le mal réapparut et il se répandit dans toute la région, touchant uniquement les femmes, qui se mirent à aboyer comme des chiens.

Un jour de Pentecôte, vers six heures du matin, les cloches de la vieille église de Josselin venaient de sonner et les fidèles accouraient pour assister à la première messe quand soudain, des cris déchirants se firent entendre, que tout le monde parut ignorer. Tenue par deux hommes forts, une femme aux vêtements déchirés et au visage mouillé de sueur se débattait sur le chemin poudreux. Quand elle vit se dessiner l’église la malheureuse redoubla ses efforts mais ses gardiens la poussèrent brutalement en avant pour l’obliger à avancer, et elle s’effondra sur le sol. La femme se releva aussitôt, mais exaspérée par la vanité de son combat, elle se mit à baver, aboyant comme un chien et tentant de mordre ses bourreaux. Impassibles, les deux paysans l’entrainèrent jusqu’au bas des escaliers qui menaient à l’église, et l’aboyeuse se débattit plus violemment encore, refusant obstinément de gravir les hautes marches de granit. Le corps rejeté en arrière, suspendue dans le vide, elle défiait ses gardiens, qui avaient grand peine à la retenir et à empêcher qu’elle ne tombe, les entrainant dans sa chute.

Une fois dans l’église, la forcenée fut amenée jusqu’à un petit autel où était posé un reliquaire richement orné et précipitée contre lui, elle l’embrassa, livide. Alors elle se mit à gémir, et brusquement elle sembla apaisée. Épuisée par le combat qu’elle venait de livrer, la pauvre femme n’avait même plus la force de se tenir debout. Une chaise lui fut alors amenée, et elle s’affala dessus, les bras pendants le long de son corps, immobile. Son visage, d’une pâleur mortelle, était inondé de sueur et ses yeux se fermaient sous l’emprise d’une force irrésistible. Étrangement, elle semblait dormir, sursautant parfois sous l’effet d’un rêve. Le contraste entre ses traits, maintenant détendus, et ses vêtements en désordre était saisissant. Dans sa lutte, sa coiffe s’était défaite et son châle s’était dénoué, laissant voir sa chemise sous laquelle son cœur battait encore de manière saccadée. Pendant ce temps, la messe continuait à se dérouler, nullement troublée par ce désordre. Les fidèles qui cherchaient à gagner leur siège évitaient d’approcher de l’aboyeuse et ceux déjà assis continuaient à prier.

Quand ils estimèrent qu’elle avait assez pris suffisamment de repos, ses deux gardiens, qui étaient restés à la surveiller, l’amenèrent jusqu’à un petit sanctuaire situé à 500 mètres de là, au pied d’une colline. Au croisement de deux sentiers étroits, au milieu d’une petite cavité aux murs recouverts de lierre, de ronces et de plantes diverses, se dressait la statue d’une sainte, Notre-Dame du Roncier, sur une colonne grossière. La légende raconte qu’en l’an 808, un pauvre homme avait découvert une statue de la Vierge dans un buisson de ronces. La statue avait été enlevée à maintes reprises mais comme elle retournait toujours au même emplacement un sanctuaire avait été construit à cet endroit et elle était devenue Notre-Dame du Roncier. A ses pieds se trouvait un bassin de pierre dans lequel s’écoulait lentement de l’eau claire, et sur le rebord circulaire de la margelle des écuelles avaient été remplies pour les aboyeuses. La vieille femme qui gardait ce lieu désert tendit alors l’une écuelle de bois à la femme qui lui était amenée. Après l’avoir bue, l’aboyeuse fut enfin relâchée et elle se sauva, honteuse.

Pendant que la première femme était amenée à la fontaine, une autre messe commençait et une nouvelle aboyeuse arrivait à l’église, trainée par des paysans qui étaient passés la chercher chez elle, l’arrachant de force à son foyer. Aucune de ces femmes n’était jeune ou jolie. Elles étaient toutes pauvres, d’âge moyen, l’allure pesante, les traits battus, presque flétris etc…, et d’une cruelle manière, il semblait que le mal dont elles souffraient avait peint sur leur visage cette vieillesse anticipée.

Quand des villageois croisaient une aboyeuse, ils s’écartaient légèrement en la voyant arriver, puis ils reprenaient tranquillement leur promenade après son passage. Ce spectacle singulier, qui continuait toute la journée, attirait à Josselin une multitude de curieux, qui venaient assister au défilé des aboyeuses. Certains des spectateurs étrangers qui les regardaient arriver à l’église pensaient qu’elles étaient possédées, et ils reculaient en les voyant approcher, terrifiés. D’autres les soupçonnaient de s’entendre avec leurs bourreaux pour tromper le public, mais ils n’avaient pas suivi leur calvaire depuis le départ de leur foyer jusqu’au voyage à la fontaine du Roncier, sinon jamais ils n’auraient eu cette pensée. La lassitude des aboyeuses, leurs membres raidis, leurs visages crispés, leur rébellion et leur prostration après avoir embrassé le reliquaire n’étaient en rien de vains simulacres. La sincérité des hommes qui accompagnaient ces malheureuses dans leur douloureux chemin de croix était tout aussi évidente. Ils avaient la patiente attitude et le visage sévère de ceux qui accomplissent sans passion et sans colère ce qu’ils considèrent comme un devoir.

Lors du couronnement de Notre-Dame du Roncier par Mgr Bécel, en 1868, le jour du pardon fut déplacé de la Pentecôte au 8 septembre. Hippolyte Violeau, qui était écrivain, assista à un pèlerinage le 8 septembre, et il le décrivit ainsi :

« Je me trouvais par hasard dans la foule à peu de distance de l’église, au moment où la procession qui se fait en l’honneur de Notre-Dame du Roncier allait y rentrer; tout à coup, un mouvement se fait autour de moi. Place, place aux aboyeuses! s’écriait-on; et des hommes entraînaient, portaient avec peine plusieurs femmes, pâles, défaites, la bouche écumante, les yeux à demi fermés, se débattant comme des démoniaques et poussant des cris rauques assez semblables aux aboiements d’un chien. Le peuple se rangeait sur leur passage avec un sentiment de terreur, et pourtant chacun voulait voir ces malheureuses coller leurs lèvres toutes frémissantes aux pieds de la statue de Marie qui seule a le pouvoir de les calmer. Des personnes dignes de foi attestent l’existence à Josselin et dans les environs de plusieurs familles d’Aboyeuses, atteintes de convulsions héréditaires auxquelles la science n’entend rien qui reparaissent chaque année vers la fête de la Pentecôte pour ne cesser qu’après que les malades ont baisé la statue de Notre-Dame du Roncier. »

Le 13 mai 1905, le bulletin paroissial relatait qu’une pauvre femme de Saint-Servant avait été prise du terrible mal des aboyeuses :

« On la vit se rouler à terre et se tordre dans d’effroyables convulsions. En même temps, elle aboyait, hurlait à faire frémir. Quatre hommes vigoureux s’emparent de la malheureuse au prix de mille difficultés et l’entraînent à la basilique. Là, les aboiements redoublent. Il fallut toute la force des quatre hommes pour la contraindre à baiser le reliquaire. La malade n’éprouva aucun soulagement, et ce n’est qu’après l’avoir lavée à la fontaine miraculeuse que les aboiements cessèrent. »

La malédiction des aboyeuses fit des ravages pendant plus de deux siècles. Au début, elles étaient amenées par douzaine devant la statue de Notre-Dame du Roncier, du matin jusqu’au soir, puis le phénomène se raréfia et la dernière affligée fut délivrée de son mal le 8 septembre 1953. Personne ne sut jamais pourquoi ces femmes se comportaient ainsi, mais une chose est certaine, elles ne simulaient pas. Certains y virent une sorte d’hystérie, d’autres une opposition farouche à l’église catholique, mais peut-être étaient-elles tout simplement en proie à une malédiction, comme le dit la légende.


Source : Les aboyeuses de Josselin, combat des Trente, Du Guesclin, Merlin l’enchanteur, Arthur de Bretagne de Louis Hamon, Pardons et chemins de pèlerinage en Bretagne de Bernard Rio.